Alors que s’achève l’Assemblée générale des Nations unies à New York, en coulisses comme à la tribune, l’Afrique a réclamé deux sièges permanents au Conseil de sécurité avec droit de veto.
L’Afrique ne veut plus se contenter des trois sièges de membres non permanents qu’elle dispose au Conseil de sécurité de l’ONU, et le fait savoir. À la tribune de l’Assemblée générale des Nations unies cette semaine, le président congolais Félix Tshisekedi a lancé dès mardi un appel pour la création de deux sièges permanents pour le continent africain, une question de « justice », selon lui. À sa suite, le président sud-africain Cyril Ramaphosa a fustigé le fait que « depuis sa création il y a 78 ans, l’Afrique reste exclue des décisions stratégiques. Cela ne peut pas continuer », a-t-il lâché.
« En 1945, la plupart des pays africains étaient encore sous domination coloniale et n’avaient pas voix au chapitre dans les affaires internationales, souligne Amadou Ba, enseignant en histoire africaine précoloniale et coloniale à Nipissing University à North Bay en Ontario. Aujourd’hui, nous sommes en 2024, poursuit-il, et l’Afrique représente 1,4 milliard d’habitants, soit 18 % du total mondial, sans compter le fait qu’en 2023 plus d’un tiers des réunions du conseil concernait l’Afrique, et plus de la moitié de toutes ses décisions concernait des questions de sécurité africaine », résume-t-il.
Si les appels à réformer le Conseil de sécurité ne sont pas nouveaux, les conflits en cours en Ukraine et dans la bande de Gaza ont mis en lumière les profondes divisions entre ses États membres et les autres. « Le 2 mars 2022 a été vécu comme un électrochoc par les puissances occidentales, pointe Amadou Ba. Ce jour-là, 17 pays africains se sont abstenus lors du vote visant à condamner l’agression russe en Ukraine. » D’après l’historien, cet épisode a fait beaucoup réfléchir. « L’Afrique a marqué un coup important, et ce n’était que le début », prédit-il. « Dans l’ordre international en recomposition, le continent fait valoir ses nouveaux partenaires comme la Chine ou la Russie, qui font partie du “Sud global” peu disposé à soutenir l’Occident. »
Consensus au niveau des déclarations, mais pas sur le droit de veto
Pour autant, le consensus fait son chemin parmi les membres des Nations unies sur le fait que le Conseil de sécurité doit être réformé ou restructuré. En août dernier, Antonio Guterres, le secrétaire général de l’ONU, s’était montré assez offensif, en appelant urgemment à une réforme du Conseil de sécurité, critiquant sa structure obsolète et le manque de représentation de l’Afrique, qui, selon lui, porte atteinte à la crédibilité de l’organe et à sa légitimité mondiale.
Le débat a pris une nouvelle tournure le 13 septembre, lorsque les États-Unis ont annoncé qu’ils soutiendraient la création de deux nouveaux sièges permanents pour les pays africains et d’un siège non permanent pour les petits États insulaires en développement. « Il est temps que les dirigeants africains aient une place permanente au Conseil de sécurité », a expliqué l’ambassadrice des États-Unis à l’ONU, Linda Thomas-Greenfield, lors d’une conférence organisée par le centre de réflexion Council on Foreign Relations, après avoir réclamé un « ajustement du Conseil au XXIe siècle ». Les pays africains disposent actuellement de trois sièges sur les dix non permanents au conseil, attribués sur une base tournante pour des mandats de deux ans. « Le problème est que ces sièges élus ne permettent pas aux pays africains d’apporter le bénéfice de leur connaissance et de leur voix au travail du conseil », a reconnu la diplomate américaine. Une prise de parole qui a officialisé la position américaine après un engagement jusque-là informel du président américain en 2022. En revanche, Washington est opposé à une extension du droit de veto à d’autres pays que les cinq permanents actuels. « Ce qui limiterait considérablement la portée d’une éventuelle réforme ! » a réagi Amadou Ba. L’Afrique connaît bien le fonctionnement du système des Nations unies. Elle a énormément bénéficié de l’implication de l’ONU, notamment dans les conflits, mais aussi pendant la période des décolonisations ou sur les sujets de développement. « Les déclarations des États-Unis sont en deçà des attentes africaines, analyse Amadou Ba, mais la position commune de l’Union africaine qui a adopté en 2005 le Consensus d’Ezulwini sur l’élargissement prévoit deux sièges permanents avec droit de veto et cinq sièges non permanents, ajoute l’expert, pour qui tout l’enjeu sera désormais pour les États africains de négocier entre eux, en l’absence de tout consensus. La bataille est déjà lancée entre les pays africains, tels l’Afrique du Sud, le Nigeria, l’Égypte, le Maroc ou encore l’Algérie, parmi les candidats les plus sérieux pour prétendre à des sièges permanents nouvellement créés.
Dans tous les cas, en devenant le premier des cinq membres permanents avec droit de veto (à savoir États-Unis, Royaume-Uni, France, Russie, Chine) à accéder publiquement à la demande africaine, en dehors des négociations menées à l’ONU, les États-Unis espèrent susciter des réactions positives chez les autres membres et consolider l’héritage politique de Joe Biden aux Nations unies et sur le continent africain. Alors qu’il avait promis en arrivant à la Maison-Blanche de se rendre en Afrique pour une tournée importante, finalement, ce ne sera qu’à quelques semaines de la fin de son mandat (du 13 au 15 octobre) que Joe Biden se rendra pour la première fois en Angola, pays pétrolifère, qui bien que sous influence chinoise est le bénéficiaire d’un des plus importants investissements américains dans des infrastructures sur le continent. Au-delà des déclarations de bonnes intentions, Washington sait que les obstacles sont encore nombreux pour que l’Afrique obtienne ses deux sièges permanents. L’administration Biden doit d’abord faire valider son projet par le Sénat, puis rassembler le soutien des quatre autres membres permanents du Conseil de sécurité, ainsi que des deux tiers de l’Assemblée générale de l’ONU.
Le pari semble pour l’instant réussi puisqu’à New York, même le président français, Emmanuel Macron, s’est exprimé sur la question, apportant son soutien à la demande du Japon, de l’Inde, de l’Allemagne et du Brésil, ainsi que deux pays africains, de devenir membres permanents. Mais « la réforme de la composition seule du Conseil de sécurité ne suffirait pas à lui rendre son efficacité et je souhaite donc que cette réforme permette aussi de changer les méthodes de travail, de limiter le droit de veto en cas de crime de masse, et de se concentrer sur les décisions opérationnelles que nécessite le maintien de la paix et de la sécurité internationale », a-t-il ajouté.
Que disent Pékin et Moscou ?
Cette accélération de l’agenda américain sur ce débat est intervenue dans le sillage du Forum sur la coopération sino-africaine qui a rassemblé début septembre plus de 50 dirigeants africains autour du président Xi Jinping avec des promesses de financements massifs à la clé. « L’Afrique est littéralement convoitée de toutes parts, et les États-Unis ne veulent pas être en reste, mais il me semble que des pays comme la Chine ou la Russie sont beaucoup plus favorables qu’ils ne l’affichent à ce que l’Afrique dispose de sièges permanents avec droit de veto », analyse Amadou Ba. « La Chine sait que l’Afrique a joué un rôle important en 1971 dans ce qui peut être analysé comme le plus grand tournant qu’a connu l’institution, lorsque les pays membres de l’ONU ont adopté une résolution qui a permis l’admission de la Chine populaire et entraîné le départ de Taïwan », ajoute Amadou Ba.
Pour de nombreux experts, le volontarisme affiché des nations occidentales n’est pas dénué d’intérêt. L’intégration de l’Afrique au Conseil de sécurité de l’ONU est un calcul stratégique visant à contrer l’influence croissante de la Russie et de la Chine sur les affaires mondiales. « Mao Zedong avait parlé d’une dette de gratitude envers les pays africains », pousse Amadou Ba. « La Chine a plus d’intérêt à siéger à côté d’une Afrique qui dispose du droit de veto. » Quant à la Russie, son ambassadeur adjoint Dmitry Polyanskiy avait appelé les Africains à « rester vigilants ». « Il ne sera pas possible de réparer l’injustice contre l’Afrique tout en permettant à de nouveaux pays occidentaux de rejoindre le Conseil », avait-il insisté. « La Russie s’inscrit dans la même démarche que la Chine. » L’Afrique est particulièrement courtisée en raison de son nombre important de voix (54 pays peuvent faire pencher la balance lors de réunions multilatérales), mais aussi, d’un point de vue stratégique, parce qu’elle constitue le réservoir de l’économie mondiale de demain. « Outre sa population jeune, d’ici à 2050, le quart de la population sera africaine », chiffre le politologue. L’Afrique est également aujourd’hui au centre des enjeux de demain de par ses richesses dans les matières premières dites de transition. Charge à l’Afrique d’aller au bout de son objectif.
Avec Le Point