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Cardinal Robert Sarah : l’aspirant pape venu d’Afrique dont les idées séduisent l’extrême droite européenne (Par Souleymane Camara)

by La Rédaction

Je ne savais pas grand-chose du cardinal Robert Sarah, sinon qu’il était guinéen comme moi, issu d’un village modeste de l’intérieur du pays, devenu une figure importante de l’Église catholique. Et puis, un jour, en me promenant sur les réseaux sociaux, je suis tombé sur des posts le présentant comme un « futur pape possible ». Cela a piqué ma curiosité, d’autant que les soutiens à cette idée venaient souvent de cercles ou média marqués politiquement très à droite, voire à l’extrême droite. Cela m’a interpellé. Comment un homme africain, guinéen de surcroît, pouvait-il susciter ce type d’engouement ? Était-ce mérité, exagéré ? J’ai voulu en savoir davantage.

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Ces derniers jours, j’ai pris le temps d’écouter une quinzaine d’heures d’interviews, conférences et interventions du cardinal Robert Sarah, toutes disponibles sur youtube. Je n’ai pas lu ses livres, je ne prétends donc pas tout connaître de sa pensée, mais ce que j’ai entendu m’a permis de mieux cerner le personnage et sa vision du monde.

Un destin exceptionnel jalonné par un parcours impressionnant

Robert Sarah, c’est d’abord l’histoire d’un parcours hors du commun. Né en 1945 à Ourous, un petit village près de Boké, dans le nord de la Guinée, dans une famille de cultivateurs, il intègre très jeune le séminaire. Son chemin le conduit ensuite en Côte d’Ivoire, au Sénégal, puis en France, notamment à Nancy, avant de poursuivre sa formation à Rome et à Jérusalem. À 34 ans, il est nommé archevêque de Conakry par le pape Jean-Paul II, succédant à Raymond-Marie Tchidimbo, emprisonné pendant huit ans sous le régime de Sékou Touré. De là, il gravit les échelons du Vatican jusqu’à devenir cardinal et préfet de la Congrégation pour le Culte divin et la Discipline des sacrements.

C’est un parcours remarquable, que je respecte profondément. Je n’ignore et ne banalise pas combien il est difficile, pour un africain, particulièrement pour un guinéen, d’arriver à de telles responsabilités dans une institution aussi codifiée que l’Église catholique. Il mérite toute l’admiration pour cela. Je peux, par conséquent, comprendre parfaitement l’enthousiasme que cela peut susciter, en Guinée comme ailleurs. Mais au-delà du parcours, c’est la vision, la pensée et les positions du cardinal Sarah qui m’ont poussé à m’interroger davantage.

Une Église rigoureuse, tournée vers ses racines

En écoutant le cardinal Sarah, tout au long de ces interventions, on perçoit clairement son attachement profond à une Église ancrée dans la tradition. Il cite fréquemment Jean-Paul II et Benoît XVI, défend une messe – plus globalement une liturgie – sobre, rigoureuse, loin des célébrations bruyantes. Il est contre l’avortement, le divorce, l’homosexualité, défend le célibat des prêtres, rejette certaines évolutions liturgiques liées aux nouvelles technologies, par exemple. Une vision cohérente, assumée, qui s’inscrit dans une forme de fidélité doctrinale.

Je souscris d’ailleurs à certaines de ses convictions spirituelles, notamment sur la place essentielle de Dieu dans nos sociétés. Comme lui, je pense qu’une société qui rejette ses racines spirituelles perd un repère fondamental. Il dit souvent : « Sans Dieu, l’homme est perdu » — une affirmation forte à laquelle je ne peux qu’adhérer.

Une parole forte et sans équivoque sur les abus sexuels 

Parmi les entretiens que j’ai suivi avec attention, l’un des points qui m’a particulièrement marqué est son discours sur les abus sexuels dans l’Église. Le cardinal Sarah ne fuit pas le sujet. Il rappelle, avec force, que ces crimes sont intolérables, qu’il faut les condamner fermement. Il insiste sur la nécessité de protéger les victimes, de demander pardon, de réparer.

Mais il nuance aussi : selon lui, la responsabilité reste individuelle. L’Église, dans sa globalité, ne saurait être jugée coupable des défaillances d’une minorité. Il avance que 3 % des prêtres sont concernés, tandis que 97 % exercent leur ministère de manière irréprochable. Ce discours a le mérite de maintenir un équilibre entre l’exigence de justice pour les victimes et la défense d’une institution fragilisée. J’y ai vu une forme de courage et de lucidité.

Une vision de l’Europe et des migrants alignée sur des thèses d’extrême droite

Mais c’est sur la question migratoire que mon malaise a été le plus grand. Dans une interview accordée à Boulevard Voltaire, média connu pour ses positions (très très) droitières, le cardinal affirme qu’« on fait une erreur de promouvoir l’immigration » et que « l’Occident ne peut pas accueillir tout le monde ». Ce type de discours, souvent relayé par l’extrême droite, m’a surpris venant de lui, en particulier lorsqu’on connaît son propre parcours — celui d’un homme parti loin de chez lui pour se former, pour chercher un avenir meilleur.

Il justifie cette position par le fait que les migrants ne seraient pas bien accueillis, qu’ils ne trouveraient pas leur place, qu’on ne peut pas garantir l’Eldorado à tous. Mais ce discours, s’il n’est pas sans fondement, oublie souvent que ces départs sont avant tout le fruit de gouvernances défaillantes, de conflits, de pauvreté. Faut-il alors, en tant que figure religieuse de premier plan, alimenter ces thèses qui ferment la porte plutôt que chercher à ouvrir des voies de dialogue et de solidarité ?

En reprenant ces éléments de langage, le cardinal Sarah risque d’alimenter, même involontairement, les réflexions de courants politiques extrêmes, déjà dominants dans plusieurs pays européens mais pas que… Or, n’est-ce pas précisément dans ce contexte que l’Église devrait porter un message différent, d’accueil, de compréhension, de fraternité universelle ?

Une Église politique, une Église refermée ?

Le cardinal Sarah déplore que l’Europe ait renié ses racines chrétiennes, persuadé que c’est là l’origine de son déclin moral et spirituel. Il appelle au retour de l’Europe à ses fondements, convaincu que seule une réaffirmation de son identité catholique pourrait redonner un souffle à la civilisation européenne. Mais cette vision soulève pour moi une question fondamentale : que faire alors de la réalité des autres religions, dont la progression est manifeste en Europe et ailleurs ?

Dans de nombreux pays, l’islam, par exemple, connaît une croissance démographique rapide et pourrait prochainement dépasser le christianisme en nombre de fidèles à l’échelle mondiale. D’autres courants religieux, comme les spiritualités asiatiques ou même l’athéisme et l’agnosticisme, gagnent aussi du terrain. Si l’on suit la logique du cardinal Sarah, le retour à une identité religieuse forte et exclusive — fût-elle chrétienne — ne risque-t-il pas d’exacerber les tensions et rendre la cohabitation plus difficile dans nos sociétés plurireligieuses et multiculturelles ? A contrario, la laïcité (la vraie, pas celle à géométrie variable), ne permettrait-elle pas justement de protéger les sociétés de l’instrumentalisation politique ?

En guise de réflexion

Pour finir, je réitère que j’admire le parcours exceptionnel de Robert Sarah, mais certaines de ses prises de position me laissent perplexe. Si le Christianisme, l’Islam et les autres religions doivent rester fidèles à leurs missions spirituelles, ils ne peuvent se couper du monde, de leurs défis humains. Ils se doivent tous, à mon sens, d’incarner la miséricorde, l’accueil, le dialogue, l’ouverture.

Alors, évidemment, je ne suis pas catholique et je sais que l’élection du pape ne me revient pas. Mais le pape est aussi une figure universelle, dont les paroles et les actes résonnent au-delà de l’Église. Or, j’ai parfois eu l’impression, en écoutant Robert Sarah, d’une Église barricadée, méfiante, qui regarde les transformations du monde avec suspicion. Et à cet égard, je m’interroge sincèrement de savoir s’il est l’homme idoine pour cette position, fut-il guinéen.

Cela n’enlève rien à sa stature, mais, encore une fois, cela pose question.

Souleymane Camara

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Author: La Rédaction

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