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Guinée : Nimba TV+ se positionne comme le futur Amazon Prime guinéen

by Boubacar Diallo

Souleymane Camara, promoteur du Salon des entrepreneurs de Guinée (SADEN), le plus grand événement de promotion de l’entrepreneuriat dans le pays, a décidé de lancer cette année Nimba TV+, une plateforme de streaming légal et de VOD basée sur le même business-modèle que le géant américain du streaming vidéo, Amazon Prime Video du groupe Amazon, avec une identité foncièrement guinéenne. Une niche pleine de potentiel, portée par le développement rapide du numérique.

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Diplômé du Seminole State College de Floride (USA) et de l’École supérieure de journalisme (ESJ) de Lille, Souleymane Camara veut booster le cinéma africain en général et redonner un second souffle au cinéma guinéen en particulier. Nimba TV+ qu’il promeut est une plateforme de streaming et de vidéo à la demande pour les utilisateurs en Guinée et qui sera rapidement déployée à l’international. Un projet qui, selon son promoteur, vise à répondre à un besoin croissant de contenus culturels de la part des citoyens guinéens, en particulier des jeunes qui représentent une part importante de la
population (plus de 55 %).

Orientée jeunesse, culture et divertissement, Nimba TV+ propose un large catalogue de productions africaines et francophones entre nouveautés exclusives et grands classiques dont une partie en langues africaines. Le tout en haute définition. Nimba TV + qui est déjà nominée pour le « PRIX SPECIAL » des « Best African Solutions » dans le cadre de la
« Semaine Afrique des Solutions » (SAS) qui se tiendra à Paris du 23 au 28 octobre 2023, compte rentabiliser avec les abonnements en ligne, les annonces publicitaires sur les contenus dont elle finance la production ou détient les licences d’exploitation. Consciente par ailleurs de la complexité à rentabiliser à court terme ce genre d’investissements, Nimba TV + intervient également dans le livestreaming événementiel et dans d’autres segments de la diffusion en ligne comme le sport, le théâtre, le One man show. Profondément francophile, le fondateur de Nimba TV + lorgne un public francophone à court et moyen termes et propose également avec beaucoup d’originalité assez de contenus en langues locales africaines. C’est cette touche orientée vers la culture africaine qui fait la particularité de Nimba TV +.

Souleymane Camara n’a pas la prétention de résoudre toutes les problématiques qui assaillent le développement de l’industrie cinématographique guinéen mais entend contribuer à sa manière à l’instar de l’État, au développement d’un écosystème local basé sur des compétences et dynamiques locales. En participant à la mobilisation des ressources pour financer de jeunes réalisateurs talentueux pour la production de court ou long-métrage qui seront mis en valeur en stream sur sa plateforme Nimba TV +. Le jeune entrepreneur veut apporter sa pierre à l’édifice. Il ne voit pas forcément l’implantation des salles de cinéma étrangères ou des studios aux gros budgets d’un mauvais œil mais veut que cela soit régi par une réglementation qui protège et privilégie les réalisateurs locaux pour leur permettre d’exprimer leurs talents sans passer sous la coupole d’une entité étrangère ou qui lui ferait de la concurrence déloyale. Privilégier les
talents et la production locales.

Le créateur de la plateforme Nimba TV + conçoit l’arrivée des multinationales étrangères dans les industries locales, en termes de partenariat gagnants qui puissent contribuer véritablement à l’éclosion d’une véritable industrie cinématographique guinéenne en particulier et africaine en général, avec notamment des partenariats dans la production ou l’accès aux financements. Une industrie cinématographique qui puisse profiter au maximum en priorité aux acteurs locaux avec un contrôle de l’industrie dévolu aux nationaux. Il estime que c’est à l’État de réglementer tout cela et d’activer
tous les leviers possibles pour le développement d’une véritable architecture du septième art. Le ton est donné.

Nimba TV + veut redonner au cinéma guinéen ses lettres de noblesse

C’est dans ce contexte de challenge face aux grosses multinationales qui envisagent d’occuper le marché africain que Nimba TV + veut se positionner en fer de lance de la création cinématographique guinéenne. Mettre en lumière les talents locaux et mobiliser les ressources pour des projets ambitieux. Même si la plateforme est naissante, elle compte aller à la conquête d’un marché africain assez prometteur qui aiguise de plus en plus l’appétit des géants dans le domaine du streaming. Comme l’américaine Netflix qui a annoncé cette année sa volonté d’étendre ses opérations sur le continent africain après
l’Afrique du Sud, le Kenya et le Nigeria.

Une industrie de 20 milliards de dollars, convoitise des multinationales

Avec un chiffre d’affaires potentiel de 20 milliards de dollars selon la Fédération panafricaine des cinéastes (FEPACI), le cinéma africain ne génère que 5 milliards de dollars de recettes annuelles. Le Nigeria, avec Nollywood, grand porte-étendard de l’Afrique en matière de production cinématographique occupe à l’échelle mondiale la deuxième place derrière l’Inde (Bollywood) et devant les États-Unis (Hollywood).
Le Nigéria avec une production de 2599 films par an domine le marché africain, suivi du Ghana avec 600 films, du Kenya 500 films, de la Tanzanie 500 films et de l’Ouganda avec 200 films. D’après l’Unesco, 76,5% des films produits en Afrique de l’Ouest sont produits par le Nigeria qui détient plus de 81% des écrans de cinéma de la région. Le cinéma nigérian a, au fil des années, réussi à s’imposer sur le continent et à s’exporter à l’international. Mais derrière ces chiffres triomphalistes se cache la réalité d’une industrie du cinéma à l’échelle continentale encore à la traîne.

À l’instar du Nigéria qui, en 2021, représentait 97% des revenus du box-office en Afrique de l’Ouest anglophone, soit 11,2 millions USD et qui a généré 15 millions $ de revenus en 2022, grâce à la billetterie, d’après les chiffres de l’association nigériane des diffuseurs, l’Afrique est de loin le « continent le plus mal desservi » en matière de distribution cinématographique. Pour 1 651 écrans à travers tout le continent, les Africains n’ont droit qu’à un seul écran de cinéma pour 787 402 personnes. Ce qui fait de l’Afrique, le continent avec le réseau cinématographique le moins bien desservi et le moins développé au monde.

En Guinée, l’industrie du Cinéma en est toujours à ses balbutiements tant le septième art peine à se professionnaliser et à se faire financer et pour couronner le tout, le déficit de salles de cinéma rend compliquée la distribution. L’histoire du cinéma Guinéen ressemble ironiquement à la trajectoire historique du pays. Pionnier parmi les pays pionniers du septième art, le Cinéma Guinéen, engagé et bouillonnant est l’un des plus anciens sur le continent africain et date de 1953, après l’Afrique du Sud en 1910, la Tunisie en 1924, l’Égypte en 1928, Madagascar en 1937 et le Congo en 1950).

Retour historique sur plusieurs décennies de décadence

L’histoire du cinéma guinéen remonte à la période coloniale. Elle fut essentiellement marquée par la construction de salles de cinéma. En 1946, la Guinée disposait déjà de quatre salles de cinéma, le Rex, le Palace, le Rialto et le Vox et comptait 5 salles en 1950.
Le premier film produit dans le pays date d’avant l’indépendance, en 1953 « Mouramani » de Mamadou Touré. C’est seulement en 1993 que le tout premier long-métrage est produit « Naitou » de Moussa Kémoko Diakité.
Le cinéma local a malgré tout pris son véritable envol après l’accession du pays à l’indépendance sous l’impulsion de la révolution Sékou Touréenne qui a créé les productions étatiques Syli-Cinéma en 1967. Cet engagement du parti-État, faisant du cinéma un élément central de la promotion culturelle, de la révolution et de l’émancipation africaine a permis de faire éclore des pionniers comme Moussa Kémoko Diakité, Barry Sékou Oumar et permis de doubler le nombre de production et de salles de cinéma.
En 1984 après la mort du premier président de la Guinée post-independance. Le cinéma guinéen va prendre une autre trajectoire. Sous le second régime dirigé par Lansana Conté, qui marque la fin du socialisme et le début du libéralisme, malgré l’éclosion du numérique, et la création des écoles et structures de cinéma, le 7e art n’a pas su garder l’héritage et la dynamique révolutionnaire post-indépendance pour atteindre et franchir un autre palier.

Les salles de cinéma vestiges de la Guinée pré-indépendance qui se sont développées avec l’accession du pays à l’indépendance pour servir à la révolution de Sékou Touré de levier dans la promotion culturelle vont progressivement disparaître sous la deuxième république. Confrontées à la concurrence déloyale du fait du libéralisme, à la prolifération de salles de cinéma de fortune appelées » vidéos clubs » qui font la part belle au cinéma étranger (Hollywood et Bollywood) avant finalement de leur céder la place. Ces « vidéos clubs » vont contribuer progressivement à l’agonie de la production
cinématographique professionnelle locale.

Les cinéastes qui ne bénéficient plus désormais du soutien de l’État pour la production et se débrouillant avec les moyens du bord font désormais face à la concurrence du cinéma étranger made by Hollywood et Bollywood, accessible à souhait via les VHS et les magnétoscopes ou diffusé par les chaînes de télévision satellitaires. Pire, le cinéma professionnel local héritage de la première république est inhibé par le piratage de masse avec l’arrivée du compact disc (CD) et des DVD favorisant une inondation du marché de tous types de productions étrangères.

En 2023, toutes les salles de cinéma vestige d’un cinéma bouillonnant pré et postindependance et dont la vocation était de valoriser l’identité culturelle guinéenne et africaine pendant la révolution ont disparu. Même les fameux « vidéos clubs » qui faisaient la part belle à Hollywood et Bollywood n’ont pas pu résister à la vague technologique, ils ont également disparu. Le piratage est venu achever la décente aux enfers.

Malgré l’arrivée et l’implantation en 2017 en Guinée de nouvelles salles modernes appartenant à la multinationale Vivendi du groupe Bolloré « Canal Olympia » la Guinée ne dispose d’aucune salle de cinéma 100 % guinéenne digne du nom, construite par le département de la culture ou par des privées.
La stratégie des « Canal Olympia » n’augure rien de bon pour l’avenir de l’industrie cinématographique professionnelle guinéenne, qui peine toujours à se relever et à se mettre à niveau. Car les « Olympia » du groupe français Vivendi, qui détiennent par ailleurs les Studios Canal font évidemment la part belle au Cinéma Hollywoodien avec les licences et également bien entendu au cinéma français. Les « Olympia » qui arrivent sur un terrain neutre captent évidemment l’essentiel des parts de marché potentiels, même si la billetterie a encore du chemin à faire en Guinée pour revenir aux heures de gloire du cinéma grand écran.

En attendant, Vivendi qui détient également Canalsat n’a aucune peine à diffuser sa production cinématographique via ses chaînes cryptées. Tout comme Netflix, les studios Canal profitent déjà pleinement du talent des cinéastes africains en investissant sur la production de films et de séries mettant en lumière ou à contribution des comédiens, réalisateurs et scénaristes africains pour ensuite tirer pleinement profit des licences via la billetterie à travers les « Olympia » ou en rentabilisant via Canalsat. Au final cela n’apporte pas grand-chose au développement d’une industrie cinématographique
africaine locale, encore moins à l’économie des pays africains. À l’exception du Nigeria et de quelques pays du continent qui arrivent encore à contrôler certains leviers de leurs écosystèmes cinématographiques. Puisqu’en produisant les acteurs africains dans leurs studios, les multinationales contrôlent les licences, la billetterie, la publicité, etc…ne
laissant que des miettes aux Africains.
Le peu de réalisateurs professionnels guinéens qui arrivent encore à tirer leurs épingles du jeu sont soit basés en Occident, s’auto-financent ou font appel au concours des ONG sur notamment des thématiques très engagées. À la fin du compte se buttent à des obstacles pour diffuser en Guinée à cause de l’absence de mécanismes locaux qui favorise la promotion des cinéastes guinéens. En dépit de l’absence de salles publiques (celles qui existent sont détenus par les multinationales), même la télévision nationale guinéenne ou les chaînes de télévision privées jouent un rôle marginal et très limité pour mettre en lumière les réalisateurs guinéens. Le cinéma guinéen a du plomb dans l’ail.
Souffrant d’un côté du manque de priorisation des pouvoirs publics avec une véritable politique nationale de la cinématographie, une absence totale d’investissement dans les infrastructures. De l’autre, les réalisateurs ne parviennent pas à exprimer leurs talents et leurs pleins potentiels à cause de la difficulté à accéder aux financements public ou privés, mais en plus doivent également faire face à un défi de taille. Celui d’une concurrence déloyale tous azimuts qui semble se déployer tel un serpent des mers.

Le Cinéma Africain aux Africains

Un peu partout en Afrique, des initiatives comme celles de Nimba TV+ voient le jour mais elles vont devoir faire face à la puissance financière agressive des multinationales. Avec une stratégie de cheval de Troie, bien huilée qui consiste à financer les productions locales pour en acquérir les droits et licences pour ensuite les revendre aux Africains. Un peu comme dans l’industrie minière. Avec un réseau de salles de cinéma leur permettant une rapide diffusion, mais aussi d’opérer facilement leur entrée dans le cinéma africain, en embarquant les compétences locales à leur service et en captant du coup, une part
non négligeable de l’industrie cinématographique en Afrique, au nez et à la barbe des Africains.

Dictant ainsi leur règle du jeu, tant dans la production qu’au niveau de la billetterie et de la publicité lors des séances de projection sur grand écran. Les salles de cinéma des multinationales qui prolifèrent un peu partout en Afrique, au lieu de promouvoir un cinéma « made in Africa, by africans » ou à se positionner sur une niche spécifique cherchent à prendre le contrôle l’industrie africaine du cinéma et ses retombées financières.

Cela n’aide en rien à la création d’une industrie de production foncièrement africaine qui puise de la force dans l’avancée technologique en matière de production moderne et dont les retombées devraient profiter aux économies du continent. Au vu des enjeux financiers, les pouvoirs publics dans les pays africains devraient faire du développement de l’industrie du Cinéma une de leurs priorités stratégiques comme l’ont fait les indiens. En investissant suffisamment dans l’implantation des salles de cinéma, dans la formation aux métiers du cinéma et dans la mise en relief de véritables écosystèmes
cinématographique locaux.

Les Africains doivent sortir de « l’assistanat » et faire comme le Nigéria sinon plus afin de bâtir leurs propres industries cinématographiques, protéger et dominer le marché africain, s’exporter facilement, profiter des retombées économiques pour éventuellement jouir des sélections aux grands festivals cinématographiques internationaux.

Author: Boubacar Diallo

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