La convention démocrate qui vient de s’achever à Chicago m’a laissé des impressions mitigées. Kamala Harris, désormais figure de proue du parti, a reçu un soutien massif de la base électorale (et même des people!), mais la route vers la victoire en novembre reste semée d’embûches. Alors que la dynamique de la convention aurait dû donner à Harris une avance confortable dans les sondages, des prévisions montrent que Donald Trump est toujours dans la course (+2 point seulement en faveur de Harris au 23 août, selon le New York Times), ce qui soulève chez moi des questions sur la capacité de Harris à maintenir cet élan jusqu’à l’élection. L’histoire risque-t-elle de se répéter ?
La campagne de Kamala Harris a été présentée comme l’une des plus enthousiasmantes depuis celle de Barack Obama en 2008. Avec des slogans largement inspirés de l’ère Obama et un personnel en partie hérité de son équipe, tout semblait réuni pour que Harris prenne un avantage significatif au lendemain de ce grand raout. Pourtant, les sondages restent étonnamment serrés, et l’effet Harris ne semble pas encore avoir produit les résultats escomptés. Au point de m’interroger (prématurément?) si le pari de faire du « Obama version Harris » sera réellement efficace. Pour ma part, ce décalage me rappelle un précédent amer pour les démocrates car, en 2016, malgré un bilan économique encourageant et la popularité d’Obama en fin de mandat, tout cela n’avait pas suffi à porter Hillary Clinton à la Maison Blanche.
Un autre point de crispation, que j’ai du mal à ignorer, est que, malgré les attaques répétées contre Trump concernant ses affaires judiciaires et son bilan — des attaques qui ont en grande partie perdu de leur nouveauté, voire de leur impact — il existe toujours une grande partie de l’électorat qui le soutient inconditionnellement. De plus, Harris doit composer avec des divisions internes, notamment sur des sujets tels que le soutien à Israël. En s’intéressant aux coulisses de la convention, on constate que ces revendications restent toujours aussi présentes que lors des manifestations sur les campus universitaires en début d’année, et une certaine levée de boucliers persiste au sein d’une frange importante du parti, notamment dans des États clés comme le Michigan et ses 15 grands électeurs à remporter.
Le risque est que ces tensions internes finissent par fracturer davantage le parti démocrate. L’état-major du parti parie probablement sur l’union face à Donald Trump, mais cette stratégie pourrait se révéler risquée si les frondeurs décident finalement de s’abstenir de voter. On se souvient encore de l’élection de 2016, où Hillary Clinton avait perdu le Michigan par seulement 11 000 voix, un écart mince mais décisif. Les démocrates risquent gros sur ce sujet. Un scénario similaire en 2024 pourrait à nouveau basculer l’élection en faveur des républicains.
Je me souviens aussi qu’en 2019, Kamala Harris avait dû abandonner la course à l’investiture pour la présidentielle de 2020 face à Joe Biden, Elizabeth Warren et Bernie Sanders entre autres, faute de soutien suffisant. Elle culminait alors 4% d’intention de votes. Les choses ont-elles vraiment changé en quatre ans ? Certes, elle a été vice-présidente, elle a davantage d’expérience et est maintenant officiellement nominée par les démocrates, mais il y a encore cette impression que l’union sacrée derrière sa candidature semble encore fragile.
Un autre point inquiétant est l’émergence de figures dissidentes au sein du parti. Par exemple, Robert F. Kennedy Jr., une figure importante des démocrates et neveu de l’ancien président John F. Kennedy, a récemment annoncé qu’il quittait le parti pour soutenir Donald Trump. Bien que crédité de seulement 5 % des intentions de vote, ce ralliement pourrait entraîner un transfert de voix non négligeable, ébranlant davantage la base électorale démocrate.
Alors oui, les droits des minorités, l’amélioration de l’accès aux soins médicaux, le pouvoir d’achat, les droits des femmes : ces sujets mobilisent une grande partie de l’électorat, mais je crains que certains points de crispation ne viennent miner durablement l’unité du camp démocrate.
Bien sûr, il reste encore plusieurs semaines de campagne sur le terrain, des débats à venir, de nouvelles affaires comme seules les campagnes américaines nous réservent et tout est encore possible pour espérer ravir les 270 grands électeurs nécessaires pour décrocher la timbale. Et si, en fin de compte, l’effet Harris qui a émergé pendant la convention parvient à se maintenir, alors peut-être, juste peut-être, que l’Amérique pourrait choisir un nouveau chemin. Avec une femme à sa tête cette fois.
Souleymane Camara