Mobilisation de 5000 milliards auprès des banques : les explications d’un spécialiste

Au cours de la semaine écoulée,  le gouvernement de transition en Guinée a procédé au lancement d’obligations de trésor pour la mobilisation de cinq mille milliards de francs guinéens,  soit cinq cent millions de dollars américains.  Cette information a fait le chou gras de la presse et continue de susciter débat dans le pays.

Selon certaines sources, les banques primaires du pays ont été soumises à une pression extrême pour qu’elles souscrivent à cette opération,  sans qu’elles n’en aient la volonté.  Cette opération consiste en effet au prélèvement de cinq cent millions de dollar sur les réserves oisifs des banques primaires afin de procéder au financement des projets d’infrastructures prioritaires, chers au gouvernement.

Dans la soirée de dimanche, l’association professionnelle des banques s’est fendue d’un communiqué pour rassurer du bien fondé de cette opération et de sa régularité par rapport aux pratiques en la matière. Pour néanmoins comprendre en profondeur les contours de cette opération de  levée de fonds, notre rédaction est allée à la rencontre d’un économiste.

Pour Mamadi Condé, économiste et enseignant à l’université, “une obligation n’est rien d’autre qu’un type de créance qui permet à un agent économique, par exemple un État ou une entreprise, de pouvoir équilibrer son budget. Donc, ça permet de pouvoir faire face au financement des besoins d’investissement. Non seulement c’est légal, mais la particularité de ce type de financement, c’est que ça permet d’obtenir des ressources financières au niveau national, dans la monnaie du pays. Les obligations permettent de pouvoir financer les investissements. Ce sont des financements de long terme, contrairement aux bons de trésor. C’est un instrument financier qui permet à l’État ou à une entreprise quelconque de faire face au financement de ses investissements”, souligne ce spécialiste.

Cette opération intervient à un moment où des rumeurs persistent autour de la faible mobilisation des ressources financières par le gouvernement de transition.  Certains informateurs parlent d’ailleurs dune incapacité de paiement par l’Etat de la dette intérieure. Mais selon Mamadi Condé, les obligations de trésor interviennent lorsque “les recettes fiscales, les dons n’ont pas pu permettre d’équilibrer les dépenses. Donc, l’État est obligé de demander des créances pour pouvoir faire en sorte que son budget soit équilibré. Le premier avantage financier, cest que ça permet à l’État de pouvoir financer son déficit. Le deuxième avantage, c’est que ça permet à l’État d’emprunter dans sa dévise propre, ça fait qu’il n’est plus confronté aux fluctuations des taux de change. Le troisième avantage, ça permet à l’État d’accélérer le financement des investissements au niveau du pays, dans le but de pouvoir soutenir le développement économique et social”, a-t-il ajouté.

A la question de savoir si ce type de levée de fonds présente des risques pour le secteur bancaire,  notre interlocuteur repond par l’affirmative. “Dans tout emprunt, le risque pour les banques, c’est le risque de non-payement par l’État à l’échéange. Ça, c’est le risque pour les banques. Mais les avantages pour les banques, c’est que ça permettra aux banques de pouvoir fructifier les ressources liquides qui ne sont pas utilisées par les autres agents économiques, tels que par exemple les ménages et les entreprises. Et lorsqu’on parle, des réserves des banques, ça veut simplement dire que ces ressources-là sont immobilisées au niveau de la banque centrale, mais qui appartiennent aux banques primaires, mais dont elles ne peuvent pas avoir accès pour être utilisées en faveur des autres agents économiques. Donc c’est un avantage important pour les banques parce qu’en termes de rentabilité, le taux d’intérêt sur ces obligations-là sont excessivement élevés. Vous avez vu, on a parlé de 9% et de 13%. Donc ça va permettre aux banques-là qui vont participer à la soumission de faire des profits importants sur les emprunts qu’ils vont faire en faveur de l’État. Et ça leur permettra également de pouvoir participer au financement de l’économie. Si la qualité des investissements est bonne, ça veut dire que les banques-là seront très fières sur le plan social d’avoir été des actrices importantes du financement de l’économie. Donc ça les enrichit financièrement et ça leur permet de pouvoir résoudre les défis économiques et sociaux auxquels le pays est confronté”, explique l’économiste Mamadi Condé.

Des soucis existent aussi autour de la masse monétaire annoncée par ces obligations du trésor.  Certains citoyens s’interrogent notamment sur l’impact qu’elles auront sur les transactions bancaires courantes, craignant bientôt une indisponibilité de liquidité dans les banques. Selon Mamadi Condé, en levant ces 5000 milliards, l’État guinéen n’affecte pas le flux monétaire en circulation. “Ça n’a aucun impact. Quand un fonds est immobilisé, c’est que le fonds appartient à vous mais vous n’êtes pas capable de pouvoir l’utiliser. C’est ça un fonds immobilisé. Ça vous appartient mais pour éviter que l’utilisation entraîne l’inflation sur le marché, l’État fait en sorte que la Banque Centrale l’immobilise. C’est ça un fonds immobilisé. Ça vous appartient mais vous n’êtes pas autorisé de l’utiliser sans que l’autorisation ne vienne, par exemple, d’une institution telle que la Banque Centrale”.

Pour financer le déficit budgétaire,  l’Etat a recours à plusieurs stratégies,  parmi lesquelles les emprunts extérieurs et la planche à billets notamment,  en plus des obligations du trésor.  Chacune de ces stratégies a ses inconvénients,  explique notre interlocuteur.

Selon lui, le choix de recourir aux obligations du trésor est justifié car cela permet à l’État d’éviter la planche à billets justement. “La planche à billets va entraîner une augmentation de la quantité de la masse monétaire sur le marché et ça va entraîner une inflation. Ce n’est pas intéressant. Mais si l’État voulait emprunter ce montant-là sur le marché financier, vous avez vu que l’État serait confronté à des fluctuations de taux de change. C’est-à-dire que si la valeur du franc guinéen par rapport aux devises est très faible, l’État va emprunter de façon très chère sur le marché financier. Mais là, l’État emprunte dans sa monnaie. Donc le risque sur le change est complètement éliminé. C’est l’avantage que l’État tire”, a-t-il conclu.

La grande interrogation qui persiste à présent est de savoir si les banques locales ont suffisamment de ressources pour souscrire à cette opération du ministère de l’économie et des finances,  sans que cela n’affecte leurs performances et leurs prestations courantes. L’autre inquiète réside dans la gestion rigoureuse et transparente qui devra être faite de cet argent, au risque de ne pas entraîner une crise généralisée au sein de l’activité économique.

Author: La Rédaction

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