Le coordinateur du Forum des Forces Sociales de Guinée (FFSG), Abdoul Sacko, a été enlevé à son domicile à Conakry dans la nuit du 18 au 19 février 2025 par des hommes en uniforme encagoulés. II a été retrouvé le 21 février dans un état critique à Forécariah, une ville située à environ 100 kilomètres de Conakry.
QU’EST-IL ARRIVÉ À ABDOUL SACKO ?
Le 19 février 2025 aux alentours de 4 heures du matin, Abdoul Sacko, coordinateur du Forum des Forces Sociales de Guinée (FFSG), et figure emblématique de la société civile guinéenne, a été enlevé à son domicile de Kiroti, un quartier de Conakry. Des hommes en uniforme, encagoulés et non identifiés, ont fait irruption chez lui, l’ont saisi de force et l’ont emmené vers une destination inconnue. Abdoul Sacko a été retrouvé, le 21 février, grièvement blessé à Forécariah, une ville située à environ 100 kilomètres de Conakry. Selon ses avocats, il aurait été soumis à des actes de torture durant sa détention avant d’être abandonné, laissé pour mort en pleine brousse. À ce jour, aucune enquête crédible n’a été ouverte par la justice guinéenne pour identifier les auteurs et responsables de cette attaque et garantir que de tels actes ne se reproduisent pas. Abdoul Sacko, gravement blessé, a reçu des premiers soins à Conakry. Il vit aujourd’hui dans la clandestinité et ses conditions de santé nécessitent des soins et des examens médicaux approfondis dont il ne bénéficie pas actuellement.
POURQUOI ABDOUL SACKO A-T-IL ÉTÉ PRIS POUR CIBLE ?
Son enlèvement le 19 février 2025 et les violences qu’il a subies s’inscrivent aujourd’hui dans un climat de répression accrue contre les voix dissidentes et les acteurs de la société civile. Le Barreau de Guinée a rappelé que le cas d’Abdoul Sacko s’inscrit dans un contexte de recrudescence des disparitions forcées visant les acteurs de la société civile en Guinée, notamment celles de Oumar Sylla, alias « Foniké Manguè », Mamadou Billo Bah, Sadou Nimaga et Habib Marouane Camara.
Abdoul Sacko est un activiste connu pour son engagement en faveur des droits humains et de la démocratie en Guinée. Il œuvre depuis de nombreuses années en faveur de la défense des libertés fondamentales et l’investissement citoyen dans les questions de gouvernance et d’État de droit.
Le 11 mars 2023, il avait déjà fait l’objet d’une arrestation musclée par des gendarmes alors qu’il se rendait à un atelier de travail à l’hôtel Petit Bateau à Conakry. Les forces de l’ordre avaient intercepté son véhicule près de l’Université Gamal Abdel Nasser de Conakry. Il avait alors été conduit à la Direction centrale des investigations judiciaires de la gendarmerie nationale (DCIJ-GN). La mobilisation des Forces Vives de Guinée (FVG) et des leaders religieux avait permis sa libération le jour même. Les motifs exacts de son arrestation n’ont jamais été clairement communiqués par les autorités.
Le cas d’Abdoul Sacko souligne, une fois de plus, la nécessité pour les autorités guinéennes de prendre des mesures urgentes afin de garantir la sécurité des citoyens et de respecter les droits fondamentaux, piliers essentiels de tout État de droit.
CONTEXTE
Le 5 septembre 2021, le colonel Mamady Doumbouya renversait le président Alpha Condé, qui avait été élu pour un troisième mandat controversé. À la tête du Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD), Mamady Doumbouya promettait alors de restaurer l’État de droit, de lutter contre la corruption et d’ouvrir la voie à une transition démocratique. Trois ans plus tard, ces promesses paraissent bien éloignées. Le pouvoir militaire s’est progressivement durci, s’accompagnant d’une répression sévère des libertés fondamentales et d’une opacité croissante dans la gouvernance du pays.
UNE TRANSITION PROLONGÉE ET CONTESTÉE AVEC UN ESPACE CIVIQUE VERROUILLÉ
En octobre 2022, les autorités de transition avait établi un calendrier de gouvernance de 36 mois. Initialement annoncée comme brève, cette transition s’est finalement installée dans la durée, suscitant critiques et méfiance au sein de la société civile, de l’opposition et de la communauté internationale.
Depuis mai 2022, les autorités de transition ont interdit toutes les manifestations politiques, au nom du maintien de l’ordre public. Cette interdiction, toujours en vigueur, a été utilisée pour justifier une répression brutale des mobilisations citoyennes, notamment celles du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC). Entre 2022 et 2024, plus de 30 manifestants ont été tués par balles. Les atteintes à la liberté d’association sont également préoccupantes. En octobre 2024, les autorités ont dissous ou suspendu plus de la moitié des partis politiques, invoquant des manquements administratifs. Peu avant, elles avaient également suspendu temporairement la délivrance des agréments aux ONG, entravant ainsi le travail des organisations de la société civile. Ces mesures visent clairement à affaiblir les contre-pouvoirs et à museler toute voix dissidente.
RÉPRESSION CIBLÉE ET CONDITIONS DE DÉTENTION INHUMAINES
Des leaders politiques et des membres de la société civile ont été arrêtés, intimidés, ou portés disparus. Parmi eux, figurent des personnalités du FNDC telles qu’ Oumar Sylla alias « Foniké Menguè », Mamadou Billo Bah, et le journaliste Habib Marouane Camara. D’autres, comme l’opposant Aliou Bah, sont détenus arbitrairement à la prison centrale de Conakry dans des conditions déplorables. L’affaire Abdoul Sacko illustre donc, une fois de plus, les dérives de cette transition militarisée. Cette situation constitue une violation flagrante de nombreux engagements internationaux ratifiés par la Guinée, tels que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) ou la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, ainsi que des dispositions de la Charte de la transition.
DES RÉACTIONS INTERNATIONALES TIMORÉES
La communauté internationale (CEDEAO, Union africaine, Nations unies, Union européenne) a exprimé à plusieurs reprises son inquiétude face aux violations des droits humains et aux retards dans la transition. Toutefois, les pressions exercées demeurent limitées et souvent inefficaces. La levée de certaines sanctions par la CEDEAO en contrepartie d’un engagement du CNRD sur le respect du calendrier de transition (qui n’a pas été respecté) a affaibli la capacité de négociation. Le Bureau du Haut-Commissariat aux droits de l’homme reste actif à Conakry, mais ses marges de manœuvre sont réduites par le manque de coopération des autorités.
UN AVENIR INCERTAIN À MOYEN TERME
Alors que le coup d’État de 2021 avait suscité l’espoir d’un renouveau politique au sein de la population, la Guinée s’enfonce aujourd’hui dans une gouvernance autoritaire. La transition militaire, loin de restaurer l’État de droit, s’est traduite par la restriction des libertés, la répression des opposants et une incertitude croissante quant à l’avenir démocratique du pays. Il est plus que jamais urgent que la société civile, les défenseurs des droits humains et les partenaires internationaux redoublent d’efforts pour exiger des garanties concrètes en faveur d’un retour à l’ordre constitutionnel, dans le respect des droits fondamentaux.