Ce sont nos confrère du magazine Africa Intelligence qui lève un coin de voile sur ce qui pourrait s’apparenter à une putsch minutieusement préparé par la junte nigérienne. Dans une enquête publiée le 02 aout dernier, le magazine nous apprend que depuis plusieurs jours “et dans la plus grande discrétion”, la junte nigérienne travaille à renforcer ses liens avec Bamako et Ouagadougou. Si des canaux officiels existent depuis le 26 juillet , Africa Intelligence revèle que de premiers contacts avaient été initiés les jours qui ont précédé.
Mercredi 2 août au petit matin, aéroport international Diori-Hamani de Niamey. Des 4×4 déposent une trentaine de militaires encadrés par des caciques du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP). Sur le tarmac, le haut commandant en second de la Garde nationale, le colonel Ahmad Sidian, retrouve le chef d’état-major de l’armée de l’air, le colonel Salifou Mainassara, de même que les colonels Salissou Mahaman Salissou, du commandement des opérations, et Abou Oubandawaki, directeur général adjoint des douanes. Ils sont rejoints par l’ancien chef d’état-major de l’armée nigérienne qui était en fonction jusqu’en avril, le général Salifou Modi, rallié à la junte , où il s’impose peu à peu comme l’homme fort.
Axe Niamey-Bamako
Toujours selon Africa Magazine, à 8 heures, cette délégation embarque à bord d’un petit porteur Dornier 228- 201 de l’armée de l’air nigérienne pour se rendre à Bamako, où elle est ensuite accueillie à la base aérienne militaire de l’aéroport international Modibo Keïta. L’avion, immatriculé “SUMBI” et visible sur l’ensemble des sites du type Flightradar, a notamment été épinglé par plusieurs comptes spécialisés.
Dans la capitale malienne, le général Salifou Modi s’entretient pendant plusieurs heures, au palais de Koulouba, avec le président de la transition malienne Assimi Goïta. Ce dernier est alors accompagné de son ministre de la défense, Sadio Camara, et du chef d’état-major Oumar Diarra. En revanche, le puissant patron de la Sécurité d’Etat (SE), Modibo Koné, ne prend pas part à l’entrevue.
Après Bamako, la tournée du CNSP doit se poursuivre à Ouagadougou, où la délégation est attendue. La mission, très symbolique, vise à renforcer les liens avec les juntes du colonel malien Assimi Goïta et du capitaine burkinabè Ibrahim Traoré. Quelques jours plus tôt, Ouagadougou et Bamako ont publié un communiqué commun pour apporter leur plus franc soutien aux putschistes nigériens du CNSP. Au sein de la junte nouvellement constituée, le général Salifou Modi est tout particulièrement chargé du rapprochement avec les pouvoirs militaires malien et burkinabé, en vue de constituer une trilatérale putschiste face à la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao).
Mais avant même le coup d’Etat du 26 juillet, Africa Intelligence révèle dans cet article que le général Salifou Modi a été en contact étroit avec le colonel malien Sadio Camara, ministre de la défense d’Assimi Goïta. Dans ce cadre, les deux hommes se sont rencontrés dans le plus grand secret quelques jours avant le coup d’Etat.
“Lorsqu’il était encore à tête de l’armée nigérienne et alors que les relations entre Bamako et Niamey étaient au plus mal, Salifou Modi avait déjà largement milité pour maintenir un canal opérationnel sur le plan militaire avec le Mali voisin. Au mois de mars, il s’était notamment rendu, avec la bénédiction de Mohamed Bazoum, à Bamako, où il avait été introduit par son homologue, le général de division Oumar Diarra, auprès d’Assimi Goïta et de Sadio Camara, informe Africa Magazine.
Salifou Modi qui est présenté actuellement comme le numéro 2 de la junte nigérienne aurait aussi œuvré à l’établissement de relations étroites avec la junte burkinabè. Le président de la transition burkinabè – qui n’a pas été avare de compliments à l’égard de Vladimir Poutine lors du sommet de Saint-Pétersbourg auquel il a pris part – a dans ce cadre discrètement dépêché une délégation à Niamey. Y figure un officier burkinabè quinquagénaire opérant sous le nom d”‘Albert”, qui se charge notamment sur place d’assurer la liaison et la coordination entre le CNSP et Ouagadougou.
S’il n’a pas pris la tête du CNSP, le général Salifou Modi en est sans conteste la plus influente figure, à en croire le magazine. Particulièrement respecté au sein de l’armée nigérienne, le gradé y a gravi tous les échelons et a occupé la quasi-totalité des postes stratégiques. Proche de l’ancien président nigérien Mamadou Tandja, qui l’avait propulsé chef d’état-major adjoint de l’armée de terre en 2008, il avait fait partie de la poignée d’officiers écartés à la faveur de l’arrivée au pouvoir de Mahamadou Issoufou en 2011. A l’instar du colonel Abdoulaye Badié, nommé attaché de défense à Washington, ou encore du colonel major Amadou Diallo envoyé à Rome, Salifou Modi avait, lui, été nommé attaché militaire à l’ambassade du Niger en Allemagne.
En 2020, au lendemain des attaques d’Inates et Chinagodrar, C’est lui que Mahamadou Issoufou nomme chef d’Etat-major de l’armée. Son retour selon nos confrères avait été perçu comme un signal positif au sein de l’armée nigérienne, où ce dernier continue de jouir d’une bonne image. La légende du gradé s’est notamment forgée lors de la rébellion touareg du début des années 1990, pendant laquelle le jeune officier s’était illustré dans la région d’Agadez. En 2007, il avait également été au cœur des combats contre le Mouvement des Nigériens pour la justice (MNJ). Un temps à la tête de la Garde nationale, il en avait été le principal réformateur.
Pourtant, en avril 20023, il est limogé par le président Mohamed Bazoum. L’intéressé lui-même avait pris cette décision comme une sanction. Pour lot de consolation, le président nigérien l’avait alors “promu” en juin ambassadeur du Niger aux Emirats arabes unies, bien loin des intrigues de la capitale nigérienne. Une mise à l’écart du général qui a, semble-t-il, largement pesé dans son souhait de faire alliance avec le général Abdourahamane Tchiani, alors que les deux hommes n’ont jamais été particulièrement proches.