Le procès du massacre du 28 septembre 2009 a repris ce lundi 29 janvier 2024 devant le tribunal criminel de Dixinn délocalisé à la Cour d’Appel de Conakry. Il est toujours dans sa phase d’audition des témoins. Après Dre Fatou Sikhé Camara la semaine dernière, c’est un nouveau témoin qui comparaît.
Il s’agit de Dr Namory Keita. C’est un médecin né le 19 novembre 1952 à Kindia. Avant sa prise de parole, il a juré de dire la vérité, rien que la vérité, sans crainte ni haine. Il venait d’être informé que le faux témoignage est prévu et puni par la loi.
Le témoin a expliqué qu’il est arrivé au service à l’hôpital Donka aux alentours de 7h30 dans la matinée du 28 septembre en 2009. Il a eu le temps de faire le tour de l’équipe de garde avant de s’installer dans son bureau.
Quelque temps après, a-t-il poursuivi, il a entendu des bruits sourds. Au début, il pensait que c’était des explosions. Quand des bruits répétitifs ont succédé à ces bruits sourds, il dit avoir alors compris qu’il s’agissait de tirs à l’arme à feu. Il appelle un de mes assistants qui lui confirme la même chose.
Selon le médecin, une heure après, le même assistant qui a quitté le service de Gynécologie obstétrique qu’il dirigeait à l’époque pour aller aux urgences l’a appelé pour lui dire qu’il y a des blessés graves et des femmes qui ont subi des sévices. Lui-même a décidé d’aller voir ce qui s’y passait avant de revenir à son service. Dans l’après-midi, il retourne encore aux urgences où il a trouvé que la situation s’était aggravée.
“On a discuté entre nous. De commun accord, on a décidé de prendre des ambulances pour aller vers le stade et voir si on peut directement prendre des blessés. Nous nous sommes déplacés avec cinq ambulances. Celle de l’hôpital. Deux assurances de médecins sans frontière, une ambulance de la croix rouge guinéenne et la dernière était celle des sapeurs pompiers. Arrivés sur l’esplanade, il n’y avait pas grand chose. Mais les grilles du stade étaient fermées. Je suis descendu avec l’infirmière anesthésiste pour demander au policier qui était devant moi. Je me suis présenté en lui disant que je suis médecin. Et que vu la situation, nous étions venus pour récupérer des blessés s’il y en a. Il m’a regardé dans les yeux. Il m’a dit s’il vous plaît attendez puisqu’il faut que je demande l’autorisation à ma hiérarchie. Il a effectivement pris un téléphone. Il s’est un peu éloigné. Il a appelé. Et puis il est revenu vers nous. Il m’a dit ne vous en faites pas. Nous avons tout ce qu’il faut pour prendre en charge les blessés. Et nous allons vous les amener à l’hôpital si c’est nécessaire. Sinon nous allons les amener dans les autres hôpitaux où il y aura de la place”, a révélé Dr Namory Keita.
Ils ne se sont pas découragés. Namory et ses compagnons ont décidé d’aller dans les quartiers pour avoir appris depuis l’hôpital qu’il y avait des blessés qui étaient couchés là. “Dans le quartier de Landreah Port, nous avons été stoppés par une patrouille de bérets rouges. Je leur ai dit que moi je suis un médecin, que je n’avais rien à avoir avec quoi que ce soit. Ils ont laissé la route. Nous avons continué. Mais dans le quartier, comme il y avait beaucoup de bérets rouges, les gens avaient peur de dire qu’ils avaient hébergé des blessés. Ils nous faisaient des signes pour nous le faire comprendre. Nous aussi, nous leur disions qu’on reviendrait vers eux quand la situation va se calmer. Nous avons continué vers Dixinn Bora. Nous avons fait tout le quartier où nous avons commencé à ramasser des blessés”, a ajouté le témoin.
Après avoir ramassé des blessés, ils sont répartis à l’hôpital pour organiser les prises en charge. Mais entre-temps, a-t-il déploré, des militaires ont jeté une grenade lacrymogène dans la cour en essayant de s’introduire au sein de l’hôpital. La situation a été maîtrisée quand les médecins se sont révoltés, a témoigné Namory.
Il a ajouté que dans les jours qui ont suivi, lui et son service ont continué à recevoir des femmes violées qui avaient eu le courage de venir à l’hôpital.
Ce médecin est à la retraite de nos jours. Mais au moment des événements du 28 septembre 2009, il était le chef service gynéco-obstétrique à l’hôpital national Donka.
Lors de la phase des questions réponses après son exposé préliminaire, il est revenu sur le cas des femmes ayant été victimes d’agressions sexuelles au stade en marge du massacre du 28 septembre en 2009. Le témoin a révélé que son service a reçu durant les jours qui ont suivi les douloureux événements, 29 femmes violées. Certaines d’entre elles ont été très mal agressées, a-t-il confirmé.
« Effectivement, en effectuant le diagnostic de certaines victimes, notre service a constaté la présence de débris de bois parfois même de séquelles de blessures liées à des objets tranchants. Et ces femmes soutiennent avoir été violées par des militaires, parfois collectivement », a témoigné ce médecin.
Pr Namory Keïta à ajouté qu’il a été personnellement marqué ce jour par une victime de 20 ans. Celle-ci dont il n’a pas révélé l’identité a été triplement victime. « Cette jeune fille de 20 ans, qui était vierge, a eu une triple conséquences. Elle a été déflorée et violée, contaminée au VIH et enceintée. Cet acte continue de me marquer à l’esprit. Malheureusement, je l’ai perdue de vue depuis octobre de la même année », s’est rappelé le médecin à la retraite.
Après la déposition du septuagénaire, le tribunal a renvoyé l’affaire au 30 janvier pour la suite des débats. L’audience a été aussitôt renvoyée parce que le parquet n’avait pas préparé un autre témoin au compte de cette journée.
Le procureur Algassimou Diallo a aussi précisé que sur la liste provisoire de témoins du ministère public, il ne reste plus que deux.