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Qui est coupable ou incapable de prouver son innocence ? (Par Tibou Kamara)

by La Rédaction

Galilée fut condamné par l’Inquisition pour avoir défendu l’héliocentrisme, cette théorie selon laquelle la Terre tourne autour du Soleil. Il s’était affranchi des idées reçues de son époque. Socrate, quant à lui, fut contraint de boire la ciguë après avoir été accusé par Mélétos de corrompre la jeunesse et d’introduire de nouvelles divinités. Ces hommes périrent pour avoir refusé de se soumettre aux dogmes dominants.

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À travers les âges, innombrables sont les figures éliminées ou persécutées, soit pour avoir devancé leur temps, soit pour avoir rejeté l’endoctrinement et l’asservissement idéologique. Cette tendance persiste aujourd’hui, notamment dans les sociétés enchaînées à une pensée unique, façonnées par le monolithisme et l’absolutisme. Les esprits libres y sont mal tolérés, tout comme l’idéal voltairien : « Je ne suis pas d’accord avec vos idées, mais je me battrai pour que vous puissiez les exprimer ».

Certains aspirent au monopole de la parole, tandis que d’autres préfèrent l’uniformité intellectuelle. Le long règne du silence prend fin et l’ostracisme dans l’espace public n’a plus aucune chance de prospérer.  N’en déplaise aux colporteurs de rumeurs et à la caste des faussaires qui se rendent comptent qu’ils ne sont plus seuls sur la piste.

Lorsqu’on entreprend l’exégèse d’un texte, il est essentiel de l’aborder avec rigueur, en évitant les interprétations hors contexte ou les digressions ad hominem. Hélas, la précipitation et les raccourcis polémiques priment souvent sur l’analyse approfondie des idées. Résultat : entre autres incongruités, certains jouent aux biographes ou hagiographes de personnages qu’ils connaissent à peine, mêlant approximation et malhonnêteté intellectuelle à propos de leur parcours.

Evidemment, puisqu’il est courant dans ce pays de tirer des conclusions hâtives et de privilégier les attaques contre les auteurs plutôt que d’examiner avec lucidité leurs réflexions, cela ne surprend guère.

Dès l’adolescence, j’appris les principes de l’explication de texte, puis découvris dans le journalisme les multiples grilles de lecture. L’une exige de rester fidèle à l’esprit de l’auteur, ne pas en sortir pour travestir ses idées ; l’autre met en garde contre le mélange des genres. Aujourd’hui, certaines réactions passionnelles – non pas toutes, car la raison persiste chez beaucoup – trahissent un hors-sujet scandaleux ou des amalgames simplistes.

Un témoignage factuel suivi d’une analyse trouble-t-il les consciences coupables ? Celles de ceux qui ont des cadavres dans le placard ou se savent imparfaits ? D’outre-tombe, Siradiou Diallo, esprit espiègle et éclectique, doit sourire de cette fébrilité, s’étonner de l’intolérance et de l’irascibilité de certains compatriotes.

Ceux qui sont prompts à juger, à distribuer des bons et mauvais points,  n’aiment guère se savoir interpellés et peinent à se retenir quand on ébranle les fausses convictions chevilléés à leurs âmes. Tant qu’on reste dans les limites de la courtoisie et arrive à se faire violence pour réfréner les mauvais instincts, la contradiction, qui est l’essence même de la vie et une loi de la nature, est la bienvenue. L’opinion est assez intelligente et avisée pour faire la différence entre les procès en sorcellerie, un sport national, et les contributions censées enrichir le débat public.

Le droit à la mémoire, la reddition des comptes, l’exigence éthique : autant de quêtes légitimes pour bâtir une société juste. Mais en Guinée, plus qu’ailleurs, le paradoxe règne : chacun prêche la vertu pour autrui, rarement pour soi. “Fais ce que je dis, pas ce que je fais“, semble être la devise nationale.

Les âmes tourmentées cèdent aux invectives, tandis que l’histoire montre que la justice, même imparfaite, a toujours tenté de punir les méchants. Mais comment ?

C’est un truisme de dire qu’il y a un énorme fossé entre l’idéal de la justice voulue et souhaitée qui  combat l’impunité et pacifie la société, et les réalités des enjeux et contingences liés à appliquer la loi à tout le monde. Jean de La Fontaine résumait bien cette ambivalence dans sa fable “Les animaux malades de la peste” : « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. »

Avait-il quelque chose à se reprocher ou était-il hanté par l’angoisse présumée de devoir rendre des comptes ?

Qu’il est affligeant et ennuyeux cet exercice dérisoire de fuir le débat en s’engageant dans des querelles de personnes ou en tombant dans les lieux communs.

La justice si chère à tous doit s’appliquer aux auteurs,  commanditaires et complices des crimes de toute nature, sans exception. On verra à qui, à quels groupes, cela fera le plus de mal.

En attendant, cette justice impartiale et exigeante ne se nourrit pas de préjugés, de clameurs publiques, de dénonciations calomnieuses ni ne dépend des aigreurs, des sautes d’humeur. Heureusement !

Combien d’innocents ont péri,  condamnés par des tribunaux populaires que les « procureurs publics »  d’aujourd’hui auraient sans doute soutenus, ou tout au moins n’auraient pas désavoués. C’est cela la justice ? Combien de “coupables” courent les rues, se sont volatilisés dans la nature ? Par qui et où commencer ? Si tant est que justice doit être rendue, alors pourquoi ne pas attendre les procès et les sentences avant de s’en prendre à des personnes présumées innocentes ?

Il faudra noter d’ailleurs que la “courageuse” indignation ne vise souvent que les dirigeants déchus, car les faibles ont toujours tort. Les puissants en poste, eux, sont épargnés, voire adulés. On les caresse dans le sens du poil, feignant d’ignorer les aspérités de leurs lésions galeuses.

Par élégance républicaine et par respect d’un certain devoir de réserve, les témoins et acteurs des événements marquants de la vie nationale se sont emmurés dans le silence, repliés sur eux-mêmes. Sans le vouloir, ils laissent ainsi libre cours à tous les fantasmes concernant le parcours de la nation et les vicissitudes d’une histoire aussi tumultueuse que profondément entachée de mensonges et de manipulations grotesques.

La génération d’hommes résignés au silence, hésitants à aller à l’encontre des fausses vérités admises, des mensonges accrédités et des clichés, est révolue. Celle qui suit n’a pas peur des controverses ni des outrages, et ne reculera devant aucun écueil pour qu’enfin chacun, face à la justice ou à sa conscience, dépose son fardeau et fasse son mea culpa, pour une raison ou pour une autre. Ce n’est pas parce que cela pourrait fâcher ou vexer qu’on ne le dira pas. Allons tous au sursaut !

On voit bien que beaucoup de critiques d’hier n’étaient pas dictées par des convictions sincères, mais relevaient de postures opportunistes. On réalise que l’on cherchait simplement à se donner une bonne image et à asseoir une crédibilité auprès d’une opinion friande de discours moralisateurs et de défiance à l’encontre des gouvernants. Tout est aussitôt oublié dès lors qu’on accède au Graal. Alors, que ceux qui se vantent d’être des parangons de vertu permettent qu’on en doute, en attendant qu’ils aient le pied à l’étrier et, s’ils y sont destinés, qu’ils soient aux affaires.

Le programme d’élaboration des archives nationales, qui vise à relier tous les pans de l’histoire du pays sans dissimulation ni falsification, concerne les témoins, les acteurs, les historiens. Ce n’est pas l’affaire de chroniqueurs exaspérés ou de pamphlétaires étouffant sous le poids des frustrations inavouées de leurs révolutions manquées, toujours ajournées.

Pour ces “puritains” de mauvais aloi, objecteurs de conscience invétérés, avoir exercé une responsabilité d’État est un crime, tout comme avoir bénéficié plus d’une fois de la confiance d’un Président de la République. Faudrait-il alors s’en excuser ou s’en mordre les doigts ? Combien, y compris ceux qui jouent les désintéressés et les incorruptibles, aspirent à un tel destin ?

On a vu, avec la transition en cours dans le pays, de quoi sont capables ceux qui ont abreuvé l’opinion de principes et de valeurs sacro-saints et semblaient esclaves de leurs convictions. On attend de voir d’autres encore, qui font en ce moment la fine bouche et veulent prendre l’exception pour la règle.

Il est temps de sortir des déclarations et des incantations pour rompre avec le cycle infernal d’accusations destinées à nuire, empreintes de ressentiments, d’acrimonie, d’envie et de jalousie avilissantes.

Le tribunal populaire ou les actes d’imprécations ne tiennent pas lieu de jugements et n’aident pas à la manifestation de la vérité, indispensable à la justice. Les victimes ont droit à cette dernière, tout comme les nombreux autres dont on souille l’honneur et sape la réputation par une succession de cabales, une vague de calomnies et toutes sortes de commérages, dans un pays où la délation et la malveillance sont les choses les mieux partagées, d’une époque à une autre, de génération en génération.

On peut concéder qu’il n’y a pas de pouvoir innocent, que les dirigeants — anciens, nouveaux ou futurs — ne sont jamais irréprochables, que le monde n’est pas parfait. Qui a été en situation de responsabilité, qui a eu l’opportunité de servir à un haut niveau, le sait mieux que quiconque.

D’où l’humilité de ceux qui ont vu, entendu et vécu. Quelle prétention de se croire supérieur ou meilleur lorsqu’on n’a encore rien accompli ni jamais rien essayé ! Quel mérite, quelle fierté de montrer des mains propres…simplement parce qu’on n’a touché à rien.

Qui disait que « seuls ceux qui marchent ont de la poussière aux pieds » ?

Tibou Kamara

Author: La Rédaction

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