Retrait des licences de Fim, Espace, Djoma et Sweet : “l’Etat fait état de dérapages”

Dans l’exercice quotidien de la profession de journaliste dans notre pays, il est indéniable que de nombreux journalistes ont tenu parfois des propos ou publié des articles qui tombent sous le coup de la loi pénale. Des propos ou articles à caractère diffamatoire et même injurieux sont légion et ont souvent défrayé la chronique.
Très souvent, les victimes de ces actes ou propos se sont abstenues de déposer plainte pour éviter qu’un procès soit l’occasion de faire de la publicité autour de « l’affaire », de donner plus d’écho à un dossier qui n’intéresse que peu de personnes ou d’offrir une tribune à un journaliste en quête de notoriété. Il faut rappeler qu’en matière de diffamation ou d’injures, l’action publique est déclenchée c’est-à-dire mise en mouvement par la plainte préalable de la victime. Seul cet acte préalable permet de mettre en branle la machine judiciaire
En prévoyant des infractions susceptibles de résulter de l’exercice de la liberté de la presse, le législateur confirme la règle selon laquelle, il n’existe pas de liberté sans responsabilité.
En particulier, l’honneur, la considération et la réputation de la personne sont à respecter. En effet, comme l’écrivait Dareau, au 18 ème siècle, dans son Traité des Injures << De tous les biens, le plus précieux à soigner est, sans contredit, celui d’une bonne réputation (…) ; elle est l’âme des grands hommes : bien inestimable, digne d’une ambition générale depuis le Monarque jusqu’au simple Citoyen. La durée des États peut même se calculer sur le plus ou moins d’intérêt qu’on prend à la réputation : plus on dégénère, moins on s’inquiète de ce qu’on est aux yeux d’autrui ; et à la fin on arrive à un degré d’affaiblissement et d’insensibilité dont il n’est presque plus possible de se relever. >>
C’est pourquoi, les dispositions de la loi organique L/002 de 2010, et bien avant elle, celle de 1991, relative à la liberté de la presse protège la personne contre la diffamation et l’injure, bien qu’elle ne prévoie pas, sauf exception, des peines privatives de liberté.
Par ailleurs, il est du rôle de la Haute Autorité de la Communication (HAC) de veiller à ce que le contenu des émissions de radio ou télévision ainsi que celui des articles de presse ne portent pas atteinte à la sécurité publique, à la paix sociale et à l’ordre public. On ne doit pas oublier que l’exercice de certains droits et de certaines libertés n’est possible que dans une situation de paix et de stabilité. La HAC est donc tout à fait dans son rôle quand elle sanctionne un journaliste pour avoir transgressé les règles relatives à l’exercice de sa profession. On peut même dire qu’au sujet des délits commis par voie de presse, la loi guinéenne est moins sévère que celle d’autres législations en Afrique.
Mais il y a la nécessité de trouver un équilibre entre la nécessaire protection de l’honneur et la dignité de la personne humaine, la préservation de l’ordre public et la paix sociale et l’exercice non moins essentiel de la liberté de la presse.
Dans le cas du retrait des agréments de trois des principaux médias audiovisuels guinéens, l’Etat fait état de dérapages qui auraient été « monitorés ». Pour une meilleure information du public en général et des médias concernés en particulier, l’État aurait été mieux avisé d’indiquer avec précision ces faits afin de tuer dans l’œuf toute supputation. À moins qu’il n’y ait des motifs moins avouables qui justifient cette décision. Ce qui semble être l’hypothèse la plus plausible.
Quoi qu’il en soit, la comparaison à peine voilée entre les médias guinéens dont les agréments ont été retirés avec ceux de la Côte d’Ivoire d’avant la guerre et la Radio des « Mille Collines » du Rwanda semble un peu fort de café.
Il est temps que l’État, à travers le ministère de l’Information, revienne à la raison pour ne pas écrire l’une des pages les plus sombres de l’histoire de la Guinée en terme de liberté d’expression, de liberté de la presse et de droit à l’information, sans pour autant renoncer à sa fonction régalienne de protection de l’ordre public. Il n’est pas superflu de rappeler que le droit de manifestation pacifique quant à lui devenu un lointain souvenir.
Il serait malheureux que d’autres droits et libertés viennent s’ajouter à ceux qui sont déjà restreints ou supprimés de fait ou en voie de l’être.
Me Mohamed Traoré
Ancien Bâtonnier

Author: La Rédaction

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