Depuis quelques heures, l’information agite la toile et au plus haut sommet de l’Etat. Le colonel Mamadi Doumbouya qui s’est félicité récemment d’avoir trouvé un compromis qui accélère la mise en œuvre du projet d’exploitation du riche gisement de fer de Simandou, a-t-il détourné soixante quinze millions de dollars payés comme “ticket d’entrée” par le consortium Winning Simandou?
Nous avons mené notre enquête pour démêler le vrai du faux dans cette affaire et vous apporter les meilleurs explications disponibles à date.
En 2022 en effet, quelques mois après le coup d’Etat qui a renversé le régime Alpha Condé, l’administration mise en place par le colonel Mamadi Doumbouya a signé un accord-cadre de 15 milliards de dollars avec Winning Consortium et Rio Tinto Simfer, en vue de l’exploitation de l’immense gisement de fer de Simandou (sud-est). Il court sur une durée de 35 ans et prévoit un co-développement entre Rio Tinto avec sa filiale Simfer (bloc 3 et 4) et Winning Consortium (bloc 1 et 2) en vue de l’exploitation du gisement de fer de Simandou.
L’anglo-australien Rio Tinto est allié à Chinalco dans une joint venture pour l’exploitation du gisement et le singapourien Winning Shipping au producteur chinois d’aluminium Shandong Weiqiao, au groupe Yantaï Port et à la société guinéenne United Mining Supply.
Comment Wining Consortium Simandou est-il arrivé dans le projet?
Selon nos informations, face à la lenteur de Rio Tinto dans la mise en œuvre du projet, le professeur Alpha Condé cherchait en 2018 un partenaire en vue de procéder au développement de ce gigantesque projet. C’est alors qu’un appel d’offre est lancé et il est remporté par Winning consortium Simandou le 12 novembre 2019, pour les blocs 1 et 2 du gisement. La société, composé du tandem SMB (Société minière de Boké) et UMS (United Mining Supply) signe alors sa convention de base avec l’Etat guinéen le 9 juin 2020, environ sept mois après avoir remporté l’appel d’offre.
Dans cette convention dont notre rédaction a obtenu copie, il est prévu que la société verse au compte de l’Etat guinéen un montant de cent millions de dollars (100.000.000) USD à titre de compensation financière, mais aussi un autre montant de deux millions de Dollars américains (2.000.000 USD) correspondant à la prise en charge à titre forfaitaire des frais de négociations de l’Etat au titre de l’ensemble du Projet.
Winning consortium Simandou devait donc procéder au règlement de ces montant selon des échéances clairement définies dans cette même convention de base consultée par aconakrylive. “La totalité du montant complémentaire, soit deux millions de Dollars américains (2.000.000 USD) est payable au plus tard quatorze (14) jours après la date de signature des conventions”, souligne la convention.
Puis, au titre des cent millions de dollars, WCS devait payer les 40 % du montant principal dans un délai de quatorze (14) jours à compter de la Date d’entrée en vigueur ; 25 % du montant principal au plus tard au premier anniversaire de la Date d’Entrée en Vigueur ; 25 % du montant principal au plus tard au second anniversaire de la Date d’Entrée en Vigueur ; et enfin 10 % du montant principal, dans un délai de quatorze (14) jours à compter de la Date d’Entrée en Vigueur des Conventions Ferroviaire et Portuaire.
Par ailleurs, le document ajoute que “la Société accepte et reconnaît que la Compensation financière pourra être capitalisée et amortie conformément au système comptable SYSCOHADA, aux dispositions du Code Général des Impôts et de la présente Convention de Base; la Compensation financière pourra être payée à un ou plusieurs comptes bancaires désignés par I’Etat et pourra être affectée par L’Etat à son entière discrétion conformément au Droit en Vigueur ; l’État, en tant qu’actionnaire de la Société, ne contribuera pas au paiement de la Compensation financière; et la Compensation financière est exempte de toutes les taxes et de tous les impôts et droits applicables”.
Pourquoi Winning Consortium Simandou n’a-t-il pas payé depuis le régime Alpha Condé?
Cette question vaut tout son pesant, car au regard de la confusion qui règne actuellement sur le paiement de cet argent, il est impérieux de comprendre pourquoi la société a-t-elle pu quand-même entamer des activités alors qu’elle ne s’est pas acquittée de cette compensation financière dont les premiers versements devaient arriver au trésor public à partir des 14 premiers jours qui ont suivi la signature de sa convention de base, tel que prévu par le document en question.
Mais la réponse est simple, selon des sources bien introduites au temps du professeur Alpha Condé. Le premier éclaircissement sur ce point concernant le retard du paiement, car il y a bien eu retard de paiement, est dû tout d’abord à la date d’entrée en vigueur de la convention. Selon nos sources, ce n’est qu’en mars 2021 que la mise en œuvre de la convention a réellement commencé. Le professeur Alpha Condé aurait expressément demandé de retarder le paiement de ce montant, car il était dans la perspective de la mise en place d’un fonds souverain.
Ces premiers versements de Winning consortium Simandou devaient donc alimenter ce fonds souverain dont comptait se servir l’ex président pour la construction d’infrastructures, parmi lesquelles, précisent nos sources, le barrage hydroélectrique de Fomi était en pole position. Quoique WCS était prêt au versement du montant, il a donc du attendre le feu vert des autorités guinéennes avant d’y procéder.
Malheureusement ce qui arriva, arriva. Le 5 septembre 2021, Alpha Condé est renversé par un coup d’Etat et le colonel Mamadi Doumbouya prend alors les reines du pays et décide de regarder dans le projet Simandou.
Mamadi Doumbouya prend la main
Le 10 mars, le colonel Mamadi Doumbouya ordonne la cessation de toute activité sur le site de Simandou, pour réclamer que les intérêts de la Guinée soient “préservés” par les exploitants. Le ministre guinéen des Mines et de la Géologie, Moussa Magassouba, a déclaré à la RTG que l’Etat guinéen avait “négocié” avec les sociétés minières. “Avant on avait 0% donc 0 francs. On a négocié et on a réussi a avoir 15% des rails, du port, des mines”, a-t-il dit.
C’est dans la foulée de cette renégociation que Winning procède donc au paiement de soixante quinze millions de dollars à l’Etat guinéen. Ce montant représente vraisemblablement la compensation financière prévue par la convention de base signée avec la société, même si l’Etat guinéen n’apporte pas suffisamment d’explications à cet effet.
Selon les autorités guinéennes, le montant aurait bel et bien été payé au trésor public et n’a donc pas disparu, comme pensent certaines personnes. Mais les sources que nous avons consultées vont tout de même un peu plus loin. Pourquoi un montant payé en 2022 n’apparait pas aussitôt dans la loi de finances initiale ou la loi de finances rectificative de la même années?
Nous avons consulté la loi de finance rectificative 2022, celle qui était plus susceptible de présenter ce montant dans le volet recettes du budget de l’Etat pour cette période. Dans cette loi L/2022/0009/CNT (sans aucune mention de la date précise), le conseil national de la transition a indiqué un montant global de 1.556.876.416.000 de francs guinéens, au titre de la rubrique autres recettes, du volet recette de cette LFR 2022. Nous ne sommes donc pas en mesure de dire, avec exactitude et certitude, que les 75.000.000 de dollars de WCS y sont inclus ou non.
La pression du FMI
Lors des séjours d’évaluation périodique de ses programmes de coopération avec l’Etat guinéen, le fonds monétaire international se serait offusqué de ne voir aucune trace de ce versement dans les caisses de l’Etat pour l’exercice 2022. Pourtant, selon le ministre de l’administration du territoire et de la décentralisation qui s’exprimait dans la matinée de ce vendredi 15 septembre 2023, dans l’émission Mirador de nos confrères de FIM Fm, le montant aurait été attribué à la LFR de l’année 2022.
C’est en creusant davantage que nous avons découvert effectivement l’existence de ce montant, mais dans la loi de finance initiale 2023. Il y est rappelé en effet, la recette de 661 milliards 122 millions 526 mille francs guinéens au titre des recettes exceptionnelles, comme montant hérité de la LFR 2022. Le montant étant indiqué dans le tableau report de la LFR 2022, on peut donc en déduire qu’il a été versé au titre de l’exercice 2022 de la loi de finances rectificative.
En conclusion, l’argent a finalement bel et bien été payé par Winning Consortium Simandou, Il figure effectivement dans le budget de l’Etat, au compte de l’année 2023.