Par ce texte, je tiens à réagir aux arguments avancés par M. Bagaga, cadre du ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche Scientifique et de l’Innovation (MESRSI) relativement à la dernière conférence de presse tenue par les 50 PhD guinéennes et guinéens recrutés pour rehausser le niveau de l’enseignement et de la recherche dans les Institutions d’Enseignement Supérieur (IES) en Guinée. Cette conférence mettait de l’avant les difficultés rencontrées par ces personnes dans l’exercice de leurs fonctions.
Ce texte est rédigé en mon nom propre et ne reflète aucunement les positions de mes collègues. Aussi, je souhaite apporter des clarifications objectives face aux propos tenus. Les arguments avancés par la personnes suscitée s’articule essentiellement autour de trois points. Soit, le retard des salaires, la disparité salariale entre les personnes enseignantes recrutées comme fonctionnaires (soit de nationalité guinéenne) et celles recrutées de nationalité étrangère.
1. Retard dans le paiement des salaires
Heureusement qu’il reconnait que les 50 PhD n’ont pas menti sur leur situation financière.
Depuis quatre mois, nous sommes en attente de nos salaires. Cela dit, s’il estime que nous
n’avons pas le droit d’exposer cette situation sous prétexte que nous ne sommes pas les seuls, je lui laisse le soin d’en juger. Toutefois, j’aimerais rappeler que l’exercice de notre métier ne peut se faire sereinement sans un cadre de vie et de travail stable. Le retard des paiements n’est pas simplement un détail technique, mais une question qui impacte directement notre moral, notre motivation et la qualité de l’enseignement que nous offrons aux personnes étudiantes.
2. Disparités salariales
Je sais que nous sommes alignés sur la grille de la fonction publique guinéenne. Toutefois, ce
que je dénonce, c’est l’écart de salaire marqué entre mes homologues de nationalité étrangère et moi-même. Il est inconcevable qu’au sein d’un même système éducatif, les personnes enseignantes soient traitées différemment en fonction de leur nationalité. Dans les systèmes éducatifs internationaux où j’ai étudié et travaillé, les recrutements sont faits sur la
base de compétences et d’expériences, avec des fourchettes salariales clairement définies. Une personne novice est placée vers l’intervalle inférieure et une personne enseignante expérimentée vers la fourchette supérieure, indépendamment de sa nationalité. En quoi une personne enseignante de nationalité étrangère de même grade que moi avec la même expérience (peut-être même moins expérimenté que moi) serait mieux rémunéré que moi ? Pour le moment, aucun argument solide ne m’a été opposé.
Lorsqu’on invoque les perspectives d’évolution de carrière, notamment des possibilités de
bénéficier des décrets, je reste inquiet. Recrutons-nous des personnes enseignantes et
chercheures dans le but de leur signer des décrets pour assumer des fonctions administratives ? Si c’est le cas, je perçois ici une absence de cohérence. Nous voulons qualifier le système éducatif guinéen. Nous recrutons des personnes enseignantes et chercheures à cet effet. Au lieu de les amener à faire de la recherche et enseigner les résultats, nous leur accordons des décrets pour aller plonger dans la routine administrative. Comment le système se qualifierait-il ? De mon expérience, occuper un poste administratif réduit considérablement la capacité à produire des résultats scientifiques pour une personne chercheure. J’en connais plusieurs exemples de personnes enseignantes et chercheures, autrefois très productives par des publications, ont vu leur production scientifique s’effondrer après avoir été nommés à des postes administratifs. Cela a freiné leur avancement à des grades supérieurs.
M. Bagaga sait ce que cela signifie. Il est donc inquiétant que l’on me présente cette possibilité comme une compensation aux disparités salariales. Par ailleurs, je ne suis pas non plus convaincu que toutes les personnes enseignantes et chercheures de nationalité guinéenne (fonctionnaire) titulaires de doctorat seront promues par des décrets ou même y sont intéressées. Que feront alors les personnes non promues ?
3. Publications scientifiques et projets institutionnels
Tous les arguments avancés par M. Bagaga devraient tomber à l’eau si l’on réussit à lui
présenter un seul cas qui remet en question son propos. Aussi, je ne vais pas m’étaler sur le
cas de mes collègues qui ont aussi fait leur chemin. Cela dit, lorsqu’il remet en doute la
capacité des enseignants-chercheurs guinéens à produire des articles scientifiques et à contribuer au développement institutionnel, je réfute fermement ces accusations. Depuis mon recrutement officiel en octobre, j’ai publié deux articles dans des revues à comité de lecture reconnues. Il suffit de cliquer sur les liens ou de taper les titres ci-dessous dans les moteurs de recherche scientifique comme Google Scholar, Reasearch gate, Academia, etc.
• Koropogui, S. T., et St-Jean, É. (2024). Entrepreneurship and SME Policies in Guinea: An Exploratory Analysis. Journal of Comparative International Management, 27(2),
138-151. https://doi.org/10.55482/jcim.2024.33772
• Koropogui, S. T., St-Jean, É. et Pépin, M. (2025). Experiential learning approaches in
university entrepreneurship education: a systematic review. 6th Annal of Entrepreneurship Education and Pedagogy, Edward Elgar Publishing: 29-47.
https://doi.org/10.4337/9781035325795.00010
De plus, j’ai présenté des communications lors de prestigieux congrès internationaux tels que
17e Congrès International Francophone sur l’Entrepreneuriat et les PME dans lequel j’ai
présenté les deux communications ci-dessous après mon recrutement. Les actes du colloque
sont disponibles pour des fins de vérification. Se référer à la page 9. https://sites.fsa.ulaval.ca/www4/document/evenements/CIFEPME2024/actes-decolloque_CIFEPME_2024.pdf.
• Koropogui, S. T., et St-Jean, É. (2024). Impacts des pédagogies expérientielles en contexte d’éducation à l’entrepreneuriat. 17e Congrès International Francophone en
Entrepreneuriat et PME (CIFEPME), Université Laval, Québec, Canada : 22-24 octobre
2024.
• Koropogui, S. T., St-Jean, É. et Chouchane, R. (2024). Développer l’identité entrepreneuriale en contexte d’éducation : une analyse configurationnelle. 17e Congrès International Francophone en Entrepreneuriat et PME (CIFEPME), Université Laval, Québec, Canada : 22-24 octobre 2024
De plus, que dit-il de ma dernière communication présentée en RDC dans le colloque international sur l’accompagnement entrepreneurial et l’innovation verte en contexte africain du 4 au 7 décembre 2024.
• Koropogui, S.T. (2024). Encourager les personnes étudiantes à l’entrepreneuriat :
quelles pédagogies ? Retour d’expérience sur le terrain guinéen. Colloque International – Accompagnement entrepreneurial et l’innovation en contexte africain,
Kinshasa, RDC : 4 – 7 décembre 2024
Je tiens à souligner que je n’ai bénéficié d’aucun appui financier de l’État pour la rédaction des articles ayant servi à la préparation de ces communications, ni pour la prise en charge des frais d’inscription, de déplacement, de restauration et d’hébergement afférents à ces colloques. Je n’ai d’ailleurs formulé aucune demande en ce sens, considérant ces initiatives comme un
investissement personnel en faveur de mon développement professionnel et de mon
intégration au sein de la communauté scientifique. Par ailleurs, les retours constructifs reçus de mes collègues lors de ces colloques m’ont permis d’améliorer ces articles, qui seront prochainement publiés dans des revues à comité de lecture figurant parmi les meilleures de mon domaine, selon les classements ABS, FNEGE, ABDC, etc.
En réponse à l’affirmation selon laquelle nous n’aurions proposé aucun projet de développement institutionnel pour nos IES, je tiens à apporter un démenti formel. J’ai
personnellement initié et obtenu la validation de la participation de l’Institut Supérieur de
Formation à Distance (ISFAD) à un projet de recherche international d’envergure : le projet
GUESSS (Global University Entrepreneurial Spirit Students’ Survey). Ce projet, qui rassemble des universités de plus de 60 pays, vise à analyser et à promouvoir l’esprit entrepreneurial des étudiants universitaires à l’échelle mondiale. Il convient de rappeler que j’avais déjà réalisé cette démarche en 2023 pour le compte de l’Université de Kindia, aboutissant à la publication d’un rapport détaillé sur les résultats de l’étude.
Le rapport est accessible ici :
guesssurvey.org/resources/nat_2023/GUESSS_Report_2023_Guinea.pdf
Sur la base de ces données, mes collègues guinéens et moi-même travaillons actuellement à la rédaction d’articles scientifiques destinés à être soumis à des revues académiques de renommée internationale. Cette même dynamique sera poursuivie avec l’adhésion de l’ISFAD au projet pour l’année 2025. Cela va renforcer la visibilité et la contribution de notre institution à la recherche universitaire internationale. Cette initiative illustre clairement notre engagement en faveur du développement institutionnel de nos IES et démontre notre capacité à mobiliser des ressources et à intégrer des projets à fort impact pour l’amélioration de l’enseignement supérieur en Guinée.
Pour terminer, j’aimerais rappeler que notre combat ne vise pas à incriminer des individus,
mais à attirer l’attention sur les difficultés que nous rencontrons en tant que personnes
enseignantes et chercheures. Nos revendications sont légitimes et visent à améliorer notre cadre de travail pour mieux remplir notre mission d’enseignement et de recherche. Je tiens à rappeler à M. Bagaga que ses tentatives de nous discréditer en prenant la défense de l’État ne font que lui porter préjudice. Au lieu de chercher à défendre l’indéfendable, je l’invite à se ressaisir et à travailler avec nous pour trouver des solutions concrètes et bénéfiques pour l’enseignement supérieur en Guinée. Notre objectif commun devrait être l’amélioration des conditions de travail et la valorisation du potentiel scientifique guinéen.
Siba Théodore Koropogui, PhD, DBA
Enseignant-chercheur
Institut Supérieur de Formation à Distance – ISFAD
Courriel : sibatheodore@gmail.co